Analysons le nouveau bonbon sucré télévisé, « Ratched », de Ryan Murphy proposé depuis le 18 septembre dernier sur Netflix. Car il y en a, des choses à dire.
Si vous êtes connecté à Netflix, vous n’avez pas pu passer à côté de la promo de « Ratched », la nouvelle production de Ryan Murphy, l’homme qui enchaîne les projets TV à un rythme soutenu (voir plus bas). Portée de main de maître par l’une de ses muses, l’actrice Sarah Paulson (star, entre autres, de « American Horror Story »), cette création rafraîchissante est intéressante à bien des égards. Mais est-elle dénuée de défauts ?
Ratched : de quoi ça parle ?
« Ratched » est présentée comme la prélogie (« l’histoire avant ») au film de Miloš Forman de 1975 « Vol au-dessus d’un nid de coucou », qui m’avait traumatisé enfant. Peut-être est-ce d’ailleurs à cause de ce film que j’ai en horreur les hôpitaux ?
Dans cette production saluée par la critique, Jack Nicholson y est Randall Patrick McMurphy, un condamné par la justice qui a choisi de se faire interner dans un hôpital psy, et va se faire maltraiter par une infirmière sadique, Mildred Ratched (Louise Fletcher, qui a remporté un Oscar pour ce rôle).
Dans la série, on découvre ainsi l’origin-story supposée de l’infirmière, sorti tout droit de l’imagination de la plume d’un jeune scénariste, Evan Romansky.
Le pitch : 1947. Mildred Ratched (Sarah Paulson) postule avec insistance pour un poste au sein d’un hôpital psychiatrique de la Californie du Nord. Elle a ses raisons, particulières, et va dévoiler peu à peu sa face sombre, due à une enfance brisée, la révélant machiavélique…
Un casting queer & époustouflant pour Ratched
Ryan Murphy, à qui l’on doit beaucoup de productions télévisuelles en à peine 20 ans (c’est en se demander s’il trouve le temps de souffler, voir paragraphe suivant), a toujours eu à cœur, comme son confrère Marc Cherry (Desperate Housewives, Why women kill) de « remettre sur le devant de la scène » des acteurs et actrices que malheureusement l’on ne voit plus trop. Ainsi, notre cœur de sériephile bondit quand on y voit Sharon Stone en millionnaire excentrique, Cynthia Nixon (Miranda Hobbes de Sex and the City), Judy Davis (vue dans Feud, autre production Murphy), Corey Stoll (le beau-gosse de Strain et House of Cards), le cultisme Vincent D’Onofrio (New York – section criminelle, Daredevil) ou encore Rosanna Arquette, en assistante sociale hyper touchante. Excusez du peu !
Mais ce qui me fait le plus plaisir, c’est le côté très « queer » du casting. En effet, plus acteurs et actrices, qui ont fait leur coming-out, jouent dans cette série sans forcément interpréter… une personne homosexuelle. C’est l’une des batailles de Ryan Murphy : oui, un acteur qui a fait son coming-out peut jouer tous les rôles possibles. Outre Sarah Paulson et Cynthia Nixon, saluons donc ce casting 🏳️🌈 avec Charlie Carver (l’un des jumeaux de Lynette Scavo dans Desperate Housewives) ou encore l’ultra-choupinet Brandon Flynn, star de la série 13 Reasons Why, qui joue ici un séduisant, mais sacrément creepy de psychopathe.
Ryan Murphy, l’homme qui rend visibles les invisibles
Impossible de parler du casting queer sans aborder la question de la visibilité. Ryan Murphy, connu au départ pour sa première production sulfureuse qu’était Nip/Tuck, a enchaîné les succès avec Glee, American Horror Story, American Crime Story, Pose, Hollywood, Feud…
Depuis le deal qu’il a signé il y a près de deux ans avec Netflix (300 millions de dollars de production télévisuelle sur une durée de 5 ans), il enchaîne les projets (comme le film « The boys in the band », au casting intégralement gay, qui vient tout juste de sortir sur la plateforme). Et quels projets ! Avec tous une même ligne conductrice : ces projets doivent être colorés, pop, avec un casting diversifié où les histoires doivent refléter, a minima, une certaine réalité, parfois crue, de notre société. Le producteur n’hésite donc pas à se servir de sa position de magnat d’Hollywood, amplement méritée, pour représenter au mieux la société dans ses séries. Et ça fait du bien.
L’un de combats de Ratched est la présence forte des femmes. Ici, point de victimes, elles sont maîtresses de leurs vies et prouvent qu’elles n’ont pas besoin d’hommes pour réussir.
Enfin, derrière la palette graphique ultra-léchée et glamour du show (voir plus bas), Ratched frotte le vernis de la belle (en apparence) société américaine, en dénonçant les faux-semblants et, plus globalement, l’hypocrisie de l’époque sur énormément de sujets, comme l’homosexualité (mais pas que).
Les origines de la production de Ratched
Plusieurs producteurs sont crédités dans ce show (13 !), dont l’actrice principale Sarah Paulson en personne. C’est son agent qui l’a avertie que Ryan Murphy planchait sur Ratched. Presque vexée de ne pas avoir été consultée (tous deux sont d’amis de longue date et elle a travaillé sur pratiquement tous ses projets TV jusqu’ici), elle a demandé à lire le scénario et a fait le forcing pour obtenir le rôle, que Ryan ne lui destinait pas forcément au début.
Croyant fort au projet, Sarah a également demandé à s’y associer en tant que productrice, partageant ainsi les risques (limités, puisque c’est une production Netflix). Preuve donc de son attachement à la série.
Mais la surprise vient d’un autre producteur, et pas des moindres : l’acteur Michael Douglas. Hein ? Son père, Kirk, disparu récemment, avait acheté les droits du livre « Vol au-dessus d’un nid de coucou », roman de Ken Kesey paru en 1962, pour le jouer avec succès sur les planches dans les années 60. Pour diverses raisons, il n’a pas pu interpréter le rôle principal dans le film de 1975, mais a conservé les droits d’adaptation, qu’il aurait légués à son fils Michael. Ryan Murphy s’est donc senti obligé de lui soumettre le projet, qui l’a immédiatement emballé, se raccordant ainsi au pool des producteurs.
Un orgasme visuel de toute beauté
Cette série est dotée d’une photographie absolument dingue et personne ne peut le nier. C’est un régal pour les yeux. Les plans panoramiques qui démarrent souvent en contre-plongée (une spécialité visuelle de Ryan Murphy), l’esthétisme des décors ou encore l’excellent travail de la styliste Lou Eyrich, qui s’est plongée avec délectation dans la mode des années 50 (tout en ne reniant pas l’influence de Chanel), font de cette série l’une des époustouflantes, visuellement.
Sarah Paulson y est transfigurée à chaque plan. La muse de Ryan Murphy est devenue ce qu’elle aurait dû être depuis longtemps : une héroïne hitchcockienne.
Au fur et à mesure des productions, Ryan Murphy se régale (et ça se sent) à donner un aspect « plus pop » à ses productions. Un peu pour nous dire : « c’est un show, sachez apprécier ».
La problématique du storytelling dans Ratched
Jusque-là, que de bonnes choses. Excellentes même. Mais, mais. Car il y a souvent un « mais ».
Le storytelling de cette série est problématique. Dès le début, ça part dans tous les sens, pour ne pas forcément s’y retrouver à la fin (une spécialité de Ryan Murphy…).
On lorgne quelquefois sur le gore, pas franchement utile ; c’est à se demander si on ne regarde pas une nouvelle mouture de l’excellentissime saison 2 de « AHS », celle intitulée « Asylum » (la meilleure d’AHS, pour moi, à ce jour).
A partir du moment qu’on « imagine » et qu’on part du postulat de base que tout est possible, doit-on vraiment tout s’autoriser ? Peut-être n’y avait-il pas assez d’épisodes ? Peut-être, au contraire, il y a-t-il eu trop de fils rouges lancés ?
C’est tout le problème des productions de Ryan Murphy : c’est glossy sur le papier, mais d’un point de vue du déroulement de l’histoire, c’est un peu le foutoir, au risque de perdre (en plus de scènes gores) des téléspectateurs en chemin. Preuve en est avec l’épisode 8, le dernier, qui, à mon sens, est de trop et n’apporte pas grand-chose. A part peut-être d’annoncer une saison 2…
Le générique sublime, entêtant et envoûtant de Ratched : ma nouvelle obsession
Je ne pouvais pas conclure sans un plaisir coupable : le générique de début, de toute beauté, et riche en interprétations. On y voit une femme de dos – on suppose que c’est Mildred – qui suit un fil rouge qui se déroule. Que l’on pourrait interpréter par une femme « qui suit la trace décidée de sa vie », jusqu’au moment où non, elle décide de la couper et de se prendre en main. Un ne peut qu’y voir un signe à l’émancipation et un parallèle évident avec l’histoire de Nurse Ratched.
La musique, connue (mais si, vous l’avez déjà entendue !), c’est « Danse Macabre », de Camille Saint-Saëns (Allociné nous dit qu’on l’aurait déjà entendue dans Shrek 3, Hugo Cabret ou encore Buffy contre les vampires).
Le son, l’image, la mise en scène, les typos. Profitez, car on ne voit (presque) plus de sublimes génériques à la TV, et c’est bien dommage.
On regarde Ratched alors ?
Perso, j’ai adoré, malgré ses défauts de storytelling. Mais je ne suis pas producteur : aurais-je fait mieux ? Je l’ai adorée, car c’est tapement le genre d’histoire que, en tant qu’auteur que je suis, j’aurais pu écrire.
Cette série, interdite aux moins de 16 ans, est à voir si vous aimez : les courtes séries (seulement 8 épisodes), les histoires de seconde chance et de secrets passés, l’ambiance asile psychiatrique où tout peut déraper, des éléments d’histoire un peu WTF et parfois too-much, si vous n’êtes pas choqués par des scènes gores ou encore si les Etats-unis des années 40-50 hyper glamours vous ont toujours fait rêver.